Tribalisme, un mot si Camerounais…

Article : Tribalisme, un mot si Camerounais…
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7 décembre 2016

Tribalisme, un mot si Camerounais…

Tribalisme et fabrique invisible de préjugés, ou la belle histoire du pays aux 200 ethnies, mon beau Cameroun.

Lorsque j’étais enfant, ma mère fit la découverte d’une école primaire d’un nouveau genre. Il s’agissait d’une école primaire totalement bilingue. On y était formé en anglais (toutes les matières) et en français (toutes les matières ). Je fis mon entrée au cours préparatoire spécial en tant qu’une des élèves de la première promotion de « Horizon Bilingual School ». Dans ma classe, nous étions à peine 16, un mix coloré de la plupart des ethnies du Cameroun.

Ce groupe n’a pas beaucoup bougé jusqu’à la fin des études primaires et plus de vingt après, nous avons pour la plupart gardés de bons rapports. Dans nos échanges de tous les jours pendant ces six années, les références à nos tribus respectives émergeaient parfois, sous forme de blagues, qui pouvaient parfois provoquer des grincements de dents, mais jamais ne réussissaient à altérer l’esprit de famille. Oui, une famille, voilà ce que nous étions devenus, un esprit de corps, au sein duquel chacun des membres avait sa place.

Si j’avance la bobine, je me retrouve une dizaine d’années auparavant en France mais aussi en Espagne, deux pays où les préjugés régionaux sont très marqués. Ils le sont d’autant plus qu’ils sont parfois sous-tendus par des faits historiques. On citera ainsi les Bretons têtus et résistants (descendants des audacieux Vikings), les Chtis et leur accent si particulier, les Corses belliqueux et toujours sécessionnistes, tout comme en Espagne, leurs amis Basques. l’Espagne c’est aussi les Catalans, si teigneux qu’ils sont devenus un état dans l’État. Toutefois, toutes ces peuplades, malgré leurs patois étranges, les petites guerres verbales qu’elles peuvent se faire, toutes ont en commun un amour profond pour leurs patries respectives (France et Espagne), et leur adhésion respective à leur unicité.

En somme, ce sont des pays où les préjugés entre « ethnies » sont admis, source de blagues douteuses, sont accompagnés de particularismes régionaux notables mais qui n’altèrent en rien la notion d’Etat-nation.

Une fois rentrée au Cameroun, j’ai gardé cette vision des multiples ethnies, particularismes régionaux qui font la beauté de notre patrimoine culturel, blagues et perceptions qui peuvent avoir des fondements réels mais ne devraient pas guider le fonctionnement des uns et des autres.

Malheureusement, ma vision n’est qu’utopie.

En effet au Cameroun aujourd’hui, la tribu apparaît comme un refuge sécuritaire pour fermer les yeux devant l’échec du vivre ensemble. Le patriotisme censé être notre ciment, devient un vain mot, juste bon à animer les foules pendant les meetings politiques des uns et des autres. Au final c’est chacun pour sa pomme ou plutôt son « ngombo » comme on dirait chez moi.

La tribu est devenu ce fourre-tout dans lequel on met ses frustrations, sa colère devant l’État de malade incurable du pays, faisant des uns les bourreaux apparents des autres. Se marier dans la même tribu ou investir entre frères du village, c’est un moyen pour se protéger, éviter les déconvenues. Ainsi, même au plus haut sommet de l’État, c’est la culture du clan qui prévaut.

La tribu est devenu ce fourre-tout dans lequel on met ses frustrations, sa colère

Toutefois, tout le monde aime se plaindre de ce soi-disant mal que serait le tribalisme, tout le monde serait victime de préjugés des autres, et ce serait ces préjugés qui pour d’autres pourraient être des obstacles à la paix dans notre pays ( la crise « anglophone » deviendra pour certains un cas d’école pour justifier leurs réflexes de méfiance).

Mais en vérité, en vérité, je vous le dis « tribalisme » n’est qu’un concept vague, qui déplace nos débats en tant que citoyens. Ex: Les Bamiléké sont soi-disant tous commerçants et riches et auraient des enfants très intelligents qui prennent ainsi toutes les places dans les écoles de qualité, se donnant ainsi plus de chance que les autres, d’avoir un bon boulot et une belle vie. A ceci, je répondrai, qu’en est-il de la nécessité pour le gouvernement d’assurer notamment la qualité de formation scolaire, à tout citoyen, comment évite t-il que les plus démunis soient sans capacité de faire de bonnes écoles?

A bien y regarder l’ethnie n’est pas le problème et l’Etat a bien fait d’être le premier chantre du tribalisme, afin de détourner les citoyens de ses manques. Trop de fois, en effet, comme dans l’exemple donné ci-dessus, nous sommes portés à croire que c’est la tribu d’un tel ou d’un tel autre qui est le problème. Le gouvernement en mettant en oeuvre inlassablement sa politique d’équilibre régional est bien le fait coupable qui cristallise cette soi-disant main-mise du tribalisme sur notre vie. Cette politique est d’autant plus malsaine qu’en réalité, elle demeure centrée sur la promotion et la visibilité des grands groupements ethniques. La preuve, avez-vous déjà un pygmée à un poste de responsabilité dans une administration publique au Cameroun? Les pygmées sont pourtant une ethnie de ce pays.

Tribalisme ne devrait donc pas avoir sa place au Cameroun. Tribalisme ne devrait pas être ce mot à la mode que chacun utilise à tort et à travers. Tribalisme c’est un concept destiné à nous éloigner les uns et les autres. Tribalisme est un mot qui cherche à gommer les différences culturelles, de point de vue, de tradition, normales car communes à tous les peuples du monde où des groupes humains différents cohabitent. Tribalisme et le combat contre lui, sont les ennemis du patriotisme. En effet, plutôt que de célébrer tout simplement et bâtir nos valeurs nationales, on voudrait empêcher les uns et les autres de célébrer leurs particularismes. Plutôt que d’intégrer les particularismes comme des caractéristiques belles et fortes, de la diversité qui caractérise « L’Afrique en Miniature », nous donnons le sentiment aux uns et aux autres qu’ils devraient devenir lisses ou au contraire, s’enfoncer encore plus dans un « tout pour nous, rien pour les autres ».

Ce billet m’a été inspiré par l’initiative de jeunes Camerounais, organisés autour du collectif D.C.Y The Blog et notamment l’article de mon confrère blogueur Fotso Fonkam (plus connu sous le nom Le Petit Ecolier), dans le cadre du dossier sur les préjugés.

Chers invités, je ne saurais écrire sur ce sujet d’importance, sans recueillir vos avis et points de vue. A vos claviers.

Love,Anna♦

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