S’ils étaient sourds-muets?

Article : S’ils étaient sourds-muets?
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4 août 2016

S’ils étaient sourds-muets?

Il était six heures du soir. Ils étaient attablés pour le dîner, un peu plus tôt que de coutume. Gérard avait en effet prévu de ressortir et insistait toujours pour dîner en famille. Par amour, pour sauver les apparences, par responsabilité? Nul ne saurait le dire. Emilie, elle c’était fait une raison. Elle avançait dans la vie au gré de ses humeurs. Elle vivait au travers de lui et accessoirement de leurs deux enfants, Rita et Antoine âgés respectivement de cinq et trois ans. Ils l’occupaient assez pour qu’elle puisse oublier le reste. 

Six heures du soir, comme six ans, durée de leur mariage, le solde de deux ans d’amourette. Emilie ne se rappelait plus bien ce qu’avait voulu pleinement dire « être amoureuse ». Elle était la femme de Gérard, et elle ne savait pas bien si différence il existait. Ne se mariait-on pas par amour? Elle avait rencontré lors de sa deuxième année de master, les rêves pleins la tête. Lui travaillait déjà depuis quatre ans. Ils avaient cinq ans d’écart. C’était le JCD, agréable, charmeur, à l’écoute, elle avait tout de suite craqué. Etait-ce parce que son Master 2 en gestion des projets environnementaux, avait été sans suite professionnelle? Etait-ce parce qu’il lui avait souvent répété qu’elle était sa reine et qu’elle n’avait pas besoin de travailler? Toujours est-il que huit ans après, elle n’avait finalement jamais travaillé et était devenue « par amour », une femme au foyer hors pair.

Gérard avait parfois le sentiment d’avoir été piégé ou plutôt plongé dans un cauchemar tout éveillé. Il se rappelait encore de cette première grossesse six mois après qu’ils se soient connus, et de son déni total. Il n’était pas prêt, il n’était pas sûr que c’était elle mais il avait besoin de son assurance, de son soutien, de sa détermination. En retour, il avait reçu cette servile obéissance, cette absence totale de contradiction, et avait dû faire le deuil de son enfant. Pourquoi l’avait-il alors épousé? Par amour, certainement… par culpabilité? Il n’aurait jamais su le dire. Est-ce toujours cette culpabilité qui l’avait inspiré pendant leur lune de miel à lui proposer de rester à la maison? Encore une fois, il espérait provoquer, faire naître ou renaître un esprit de contradiction, de détermination, d’entreprise et une fois encore, il n’avait reçu que cette servile obéissance. Et puis Rita était née, le soleil de sa vie, sa première fille, vite suivie du combatif Antoine. Sans eux, qu’aurait-il fait? Comment aurait-il surmonté? Mais aussi sans elle….Oui elle… Cette elle qui l’avait rendu semblable à tous les hommes. Il s’était pourtant juré qu’il serait différent. Mais différent, l’aurait-il pu demeurer avec Emilie en face? N’avait-il pas commis une erreur en l’épousant? Depuis qu’il avait rencontré, elle, Anaïs, il se posait la question. Elle était tout le contraire d’Emilie. Indépendante, inventive, passionnée, depuis six mois, elle secouait son monde. Ce soir, pour la première fois, il allait dormir avec elle. C’était pour elle, qui l’avait décidé de dîner plus tôt. Qu’allait-il faire?  Pouvait-il faire autrement? Abandonner Emilie, lui semblait impossible. On ne divorce pas, surtout lorsqu’on s’est engagé à l’église. Mais il y avait désormais Anaïs. Il espérait chaque jour que ça lui passerait…

Ce dîner, Emilie sentait bien que ce dîner à six heures du soir, cachait quelque chose. Et puis, il était devenu différent. Gérard était si distant ces derniers temps. Il ne la touchait presque plus. Il avait souvent l’air ailleurs lorsqu’il lui parlait. Elle devait très souvent répéter ses phrases. Une autre femme? Etait-il donc finalement comme tous les hommes? Sa mère l’avait pourtant prévenue: ils sont tous pareils, il faut t’y accommoder. Et elle l’avait protesté. Elle l’avait juré que son Gérard ne pouvait en aucun cas la tromper…Mais aujourd’hui, en était-elle si sûre…?

Comment, pourquoi? Ce fossé entre eux semblait s’agrandir chaque jour un peu plus. Comment revenir dans le passé? Comment faire demi-tour? Le cas échéant, comment se reconstruire?

Comment faire lorsqu’on sentait son monde s’écrouler ou peut-être se ré-inventer?  La question s’imposait à eux, chaque jour, un peu plus.

Love, Anna♦

 

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