Lorsqu’on se croit plus blanc que le blanc

Article : Lorsqu’on se croit plus blanc que le blanc
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9 septembre 2016

Lorsqu’on se croit plus blanc que le blanc

Il y a un jour, il y a de cela des années, déjà un siècle au minimum, le premier homme blanc foula pied sur la terre d’Afrique. De ce jour, beaucoup a changé.

Les choses auraient pu être simples, belles, agréables mais la haine de la différence, l’incapacité à accepter l’autre ont été (comme souvent dans les relations humaines) mis à l’honneur. Ainsi au travers de recherches pseudos-scientifiques, notamment en analysant cette dite ressemblance avec le singe donc de l’animal, l’homme noir a été considéré comme tel . Le blanc c’est défini comme supérieur. De ce fait, il a défini sa pensée, sa civilisation, ses pratiques, ses coutumes, sa religion. Il a estimé tout ceci comme supérieur et s’est enclin à l’imposer à de nombreux peuples.

Pour revenir à ma chère Afrique, nous avons donc été dans notre grande majorité colonisé. Nous avons été embarqué dans quelque chose qui n’était pas nous. Ainsi,  je dois dire que le seul fait de vous écrire ici en français, au lieu d’écrire en Yambeta ou Bassa, mes deux langues maternelles, montrent la réussite de la colonisation. Eh oui, même si je voulais, je ne maîtrise ni à l’écrit ni à l’oral mes langues maternelles. Le français est la langue officielle dans mon pays le Cameroun (ainsi que l’anglais) et c’est bien celle-là que nous affectionnons dans nos échanges normaux.

En effet la colonisation a d’abord eu pour caractéristique fondamentale, l’aliénation. Il s’agissait de nous faire entrer dans la « civilisation » et ainsi de nous éloigner de tout ce qui aurait valeur à nous en séparer: nos habillements, nos modes de fonctionnement, nos rites ancestraux, etc..

Aujourd’hui, j’ai pris en pleine face la profondeur de l’aliénation et ce pour un acte en apparence banal.

Comment dire, j’ai depuis près de deux ans, les cheveux naturels, en somme, avec leur texture originelle, des cheveux crépus comme tous cheveux d’homme noir. Ce n’était pas un choix idéologique comme je l’ai expliqué dans un récent article. De même, je ne juge pas celle d’entre nous qui ont les cheveux défrisés (texture lisse, assimilée à la texture européenne). Toutefois, force m’a été de constater que dans notre environnement, assumer de porter les cheveux naturels, sans atour, sans tresses, sans perruque, tels qu’ils sont, a au final parfois valeur de prise de position, de refus frontal de l’aliénation.

Ainsi, lorsque je sors de chez moi avec mon afro bien coiffée et structurée, pour m’entendre dire que j’ai une coiffure de folle, par une autre femme noire, que dois-je faire? Pleurer pour nous? M’énerver? Crier? 

Porter mes cheveux tels que le Seigneur les a créés, représentation ultime de ma race, dans un environnement où on a voulu m’obliger à renier tout ce qui fait ma nature, ma race… En me battant un tout petit peu même de façon inconsciente, célébrer le noir, sans l’exprimer comme supérieur à une autre race, mais juste en être heureuse. Donc, faire tout cela et m’entendre traiter de folle par une autre personne de race noire?

Je ne saurai que dire ceci, l’homme blanc qui nous a colonisé, consciemment ou inconsciemment a laissé des traces indélébiles en nous, et nous devons nous battre pour l’assumer. Avoir confiance en soi en tant qu’individu, ça signifie s’accepter. Cela va au-delà des femmes, car de façon générale, dans de nombreuses sociétés africaines, porter son cheveu crépu c’est être « sale », « pas sérieux », « fumeur de mbanga » en gros des attributs négatifs.

Toutefois, nous sommes les mêmes à nous insurger chaque jour des effets de la colonisation. Nous ne cessons de condamner l’ingérence politique des européens dans notre chère Afrique. Nous nous battons pour porter les plus grandes marques et  parfois honnir le pagne (quoique depuis que les stars américaines portent le pagne et que les grands stylistes européens l’utilisent, il est devenu trendy). Sur le pagne, je dois aussi cependant noter que ce n’est pas originellement un tissu africain. Il est bien importé mais au minimum ces imprimés à mon sens, nous rappellent notre chez nous, nos cultures.

Pour continuer, c’est bien nous qui condamnons ces frères qui fuient l’horrible Afrique pour l’Eldorado occidental.

Nous ne cessons de citer Thomas Sankara, Cheikh Anta Diop, Patrice Lumumba.

Nous nous insurgeons contre la vague de racisme en Europe et les assassinats d’hommes noirs aux Etats-unis. Cependant, nous ne sommes pas capables d’accepter qu’une femme qui a les cheveux naturels et les porte sans atour, est une femme noire, une reine, et mérite respect, reconnaissance, au lieu d’être traitée de folle.

Le chemin est encore long pour changer les choses. Il  est certainement bien long comme le mentionnait Le Petit Ecolier dans son dernier billet, pour que des noirs ne puissent plus penser que l’homme blanc soit supérieur à l’homme noir. Oui, le chemin pour accepter d’être libéré, de s’assumer selon nos propres codes , recréées différents, oui ce chemin est dur, mais je dois le dire commence par des petits actes de tous les jours.

Je ne suis pas une fanatique, une kémite ou tout extrémisme afro-noir comme ceux que je décrivais il y a quelques temps. Non, je me reconnais le droit en tant que citoyenne du monde, de m’inspirer même des autres cultures. J’aime la liberté que j’ai aujourd’hui de parler quatre langues parmi lesquelles une de mes langues maternelles (le bassa). Cependant, je suis triste d’admettre que pour certains d’entre nous être noir et cultivé, signifie être plus blanc que le blanc.

Je suis amoureuse de ma culture noire, les rites de mes ancêtres, nos pratiques, nos légendes.

Je suis fan de littérature africaine et bien que ces textes soient écrits dans la langue de l’oppresseur, pour certains ils nous décrivent si bien que j’en fais mes carnets de bord. Que serai-je sans avoir lu Mongo Beti, Cheickh Anta Diop, Ahmadou Kourouma, Ben Okri? J’apprécie le port de ces pagnes qui sont le premier reflet de ma culture. Je rêve d’être habillée uniquement par des stylistes de chez nous.

Je me régale de certains de nos mets au Cameroun mon pays comme en Côte d’Ivoire ou au Kenya. J’adore mes cheveux naturels, mon cheveu crépu, j’aime les soigner, les voir me rendre cet amour en étant plein de vie, malléables et souples, naturellement. Comment me décrire sans nos danses si caractéristiques, notre argot, nos expressions et nos comportements si bien à nous et parfois semblables quelque soit le pays d’Afrique où on se trouve? J’aime les différences entre nous, les préférences particulières de telle ou telle tribu, marqueur de notre diversité, vecteur de force si nous le souhaitons.

Je suis fière d’être noir comme le blanc est fier d’être blanc. Je ne vois pas pourquoi je devrais souhaiter être plus blanc que le blanc. Je ne suis pas folle, débraillée, je suis Africaine, noire, humaine, enfant de Dieu et fière d’être tout cela à la fois.

Et vous, Africain, blanc, comment vous décrirez-vous? Que pensez-vous de la lutte des races? Laissez votre avis en commentaire.

Love, Anna♦

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